Je sursaute et me tourne vers l’origine de cette voix. Son timbre n’est que murmure, un souffle effleurant à peine le tissu de silence recouvrant la pièce. Et pourtant, son susurrement me glace les os, me pénètre telle une dague d’acier.
Moi, d’ordinaire si alerte, si bavard, je ne parviens à balbutier que quelques mots : « Que ?... comment ?... Quand ?... »
Mes questions restent bloquées au fond de ma gorge tandis que je cherche à découvrir le visage de mon interlocuteur. En vain, la pénombre le recouvre entièrement comme une amante qui l’enlacerait dans une étreinte fiévreuse. Je pourrais prendre la bougie et approcher la flamme du coin dans lequel il se tient, mais, je l’avoue, je crains de découvrir les traits de cette fleur dont je n’ose respirer le parfum. Peut être même que l’obscurité, soumise à l’individu, absorberait l’éclat faiblard de mon cierge.
Non, je dois me ressaisir, chasser cette peur plantée en moi. J’ose estimer que mon esprit n’est point fertile à la panique. Je respire, tente de refouler l’angoisse que l’inconnu m’inspire.
–Je m’attendais à plus d’éloquence venant d’un prêtre de Dénéïr. Si votre ordre n’a qu’un bègue à m’offrir, je crains de n’être venu pour rien. Or, je ne me déplace jamais pour rien…
La menace est limpide, coule comme de l’eau de roche dans les nappes mentales de mon cerveau. Je dois réagir, me reprendre au plus vite sous peine de basculer de chroniqueur des Fleurs à victime.
–Comprenez que la surprise m’a cueillit. Je ne vous attendais plus.
–Si je vous disais que j’étais déjà là à votre arrivée, que je vous ai observé vous installer, déposer sur ce miteux bureau vos instruments, que j’ai contemplé non sans une certaine jouissance votre impatience, votre colère par moment puis votre déception de ne pas me voir venir. Je vous ai même entendu blasphémer quelques mots au sujet de votre « foutue jeunesse ».
Ainsi, mon interlocuteur m’épie depuis plusieurs heures. J’en reste coi quelques secondes, comprenant soudainement que l’étrange malaise qui m’assaille depuis que je suis rentré ici vient du regard de l’assassin posé sur moi à mon insu.
–Pourquoi avoir attendu pour me prévenir ? m’enquis-je d’un ton rappelant, bien malgré moi, celui d’un enfant prit la main dans le sac de confiserie.
Il rit. Le son est étrange, un mélange de gloussement animal et de sifflement reptilien. Un frisson me parcourt l’échine.
–Si vous saviez tout ce que l’on apprend dans l’ombre. En société, les gens se dénaturent, se voilent la face derrière le carcan du correct. Mais là, dans l’intimité d’une pièce exiguë, dans la conviction d’être seul, le masque tombe. L’on redevient pour un temps la personne réelle que l’on est.
–Et qu’avez-vous appris de moi ?
–Que j’accepte de vous narrer mon histoire. Êtes-vous disposé à l’écouter ?
J’acquiesce du chef. J’attrape la plume et y dépose la pointe sur le parchemin, prêt à faire couler l’encre dans ses fibres et y déposer la chronique d’une fleur.